Tout ce que vous devez savoir sur le storytelling

TRIBUNE D'EXPERT

Publié le 10/01/2023
Auteurs
Alexandre BESSETTE
Concepteur Rédacteur
Alexandre BESSETTE
Partager l’article

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir (sans jamais oser le demander)

Le storytelling, c’est génial, mais c’est pas évident : comme le dit l’écrivaine Anne Lamott, “Inventer et raconter une bonne histoire est aussi facile et agréable que de donner un bain à un chat”. Et pourtant, il s'agit d’une des caractéristiques les plus universelles de notre humanité.

Aujourd’hui, on va tenter d’appréhender le pouvoir des histoires, en se posant quelques questions : Le storytelling c’est quoi ? Ça vient d’où ? Comment s’en sert-on pour vendre des trucs ? Quels sont les fondamentaux d’une bonne histoire ? Je ne vous promets pas forcément d’avoir la réponse, mais au moins on va essayer de passer un bon moment.

 

Histoire de l'histoire 

Tout d’abord, remontons le temps, jusqu’à l'âge de pierre, il y a 70 000 ans. Déjà, on peut constater que les peintures rupestres sont les premières manifestations de notre nécessité humaine de se la raconter. Il s’agit de notre toute première tentative préhistorique d’orchestration du temps et de l’espace. 

Parce qu’il y a 70 000 ans, comme disait le rappeur Gradur, on était pas tout seuls. Il y avait l’Homo Sapiens, notre gars sûr, mais aussi l’homme de Néandertal, l’Homme de Florès, l’Homme de Vitruve, l’homme-grenouille, l’Homme sandwich, et plein d’autres.

Comment Sapiens a fait pour conquérir le monde au détriment des autres espèces ? Une partie de la réponse se trouve dans le langage. Plus précisément, dans la façon dont nous avons su l’exploiter.

En effet, un des éléments qui nous a permis de nous imposer, c’est notre capacité à nous servir du langage pour décrire l’intangible, pour évoquer des choses dont nous ne faisons pas l’expérience, ou que nous ne pouvions ni voir, ni sentir, ni goûter, ni toucher. La langue ne servait pas qu’à avertir les autres en criant “ara” si un mammouth s’approchait trop près de la grotte, à servir comme outil de prévention ou d’action…

Nous avons pu partager des évocations du passé, prévoir l’avenir, concevoir et théoriser les religions, mettre en place une culture. Les histoires ont commencé à faire partie de notre patrimoine génétique. 

Sapiens parvint à fédérer le grand nombre et à dépasser le stade du clan. Il réussit à se hisser au sommet de la chaîne alimentaire, autrefois dominée par le tigre à dents de sabre et Gérard Depardieu. 

Par ailleurs, Sapiens est un animal qui a conscience de posséder une destinée. Il sait qu’il aura un début et une fin. Le fait de raconter lui permet d’appréhender cette réalité. Les histoires donnent du sens, mettent en scène un monde où les causes ont des conséquences. 

Nous sommes tous des constructions narratives ambulantes. Des histoires sur pattes. Nous naissons dans une rue, un quartier, une ville, un département, une région, un pays, une planète. Nous héritons d’une lignée d’ancêtres, d’une famille plus ou moins étendue, riche de récits et de figures emblématiques.

Nous héritons également d’un nom de famille, qui peut changer au cours de notre existence, ainsi qu’un prénom, qui autrefois appartenait à un Saint, un aïeul, un personnage de roman… 

Tous ces éléments sont les briques de notre propre édifice narratif. Des petites capsules remplies de récits, d’histoires, de légendes, qui se diffusent dans notre esprit pour constituer notre histoire.

Les récits ont également un grand pouvoir pédagogique. Alors que nous autres adultes pouvons être effrayés par la cruauté de certains contes, en réalité ceux-ci rassurent les enfants. Ils leur donnent des personnages en lesquels s’identifier, des armes pour affronter les choses qui les angoissent eux-mêmes profondément : la mort, la perte, l’abandon, Fabrice Luchini… Les enfants deviennent bien souvent accros aux histoires, et certains doivent beaucoup à cette addiction, surtout les artistes et créatifs. 

 

Histoire des langues de pub 

Le Storytelling, c’est vachement bien pour vendre des choses. Des idées, des rêves, des candidats, des pots de yaourts. 

Parce qu’une bonne histoire fascine, parce qu’elle se retient, parce qu’elle fait vibrer, parce qu’elle rend sympathique, parce qu’on y voit notre reflet, les marques qui savent se présenter de façon claire et impactante sont capables de capturer beaucoup plus facilement notre coeur et nos précieux deniers. C’est principalement pour ces raisons qu’on fait appel à des agences de publicité.

La publicité, fondamentalement, c’est l’art de raconter les histoires des autres. Mais pour une fois, nous allons d’abord nous pencher sur son histoire à elle.

Mais les façons d’y arriver ont su évoluer en fonction des méthodes de production et de consommation. Voici en 5 modèles successifs comment nous sommes parvenus à ce bourbier qu’est la pub contemporaine.

LA PRÉHISTOIRE

La genèse de la publicité moderne a lieu pendant les années 20. La consommation n’est pas aussi développée, et les points de ventes sont rares. Cette période pose cependant les bases de la publicité moderne, avec des leviers basés sur le statut social et le prestige, la qualité et la performance, la connaissance et l’ignorance. 

Le métier publicitaire était perçu comme une technique de vente dramatisée, presque foraine, qui avait pour mission de chercher la petite étincelle capable de rendre chaque produit unique, aussi farfelue soit-elle.

LA PERSUASION

Dans les années 50 est arrivée la grande consommation, l’american way of life, les Trentes Glorieuses. La télévision s’introduit dans les foyers, et part à l’abordage de notre temps de cerveau disponible. C’est un grand moment d’expérimentation publicitaire, où la façon de délivrer un message devient aussi importante que le message en lui-même. La publicité doit tout faire pour nous convaincre de la supériorité d’un produit sur un autre, en mettant en scène ses qualités et bénéfices. Elle devient un territoire d’évocation et d’inspiration.

L’IMPLICATION

En 1968, on était pas encore une année érotique, mais dans la publicité britannique, naissent les planneurs stratégiques. Et avec eux, la notion de “Branding”. Idée selon laquelle les consommateurs expérimentent la marque dans sa globalité et non de façon disparate. 

Quand on choisit ses amis, ce n’est pas pour des compétences spécifiques ou leur physique, mais en temps que personnes, avec leurs qualités et leurs défauts, leurs pulls moches et leur passion malsaine pour les boys band des années 90. Pour les marques, c’est pareil. La consommation devient quelque chose de plus immatériel : ça raconte quelque chose de soi. Déjà, on commence à rentrer dans le storytelling de marque.

LA DISRUPTION

Dans les années 2000, le branding tel qu’on le connaît traverse une vraie crise. Les gens se désillusionnent lentement des marques. Nike, qui faisait jusqu’ici rêver à toute la planète, est en pleine tourmente, parce que les chaussures cousues par des enfants de 6 ans, forcément ça pète un peu le mythe.

Arrivent aussi les marques de distributeurs, qui se positionnent face aux marques traditionnelles avec des prix très attractifs. La publicité s’adapte à cette nouvelle donne, et tente de produire un discours différent. Elles affichent une prise de recul vis-à-vis de leur propre discours. Car le client est devenu rompu aux techniques traditionnelles. Il sait à quoi sert la publicité. Les vendeurs de rêve qui sentent la luxure et l'after shave à la Don Draper sont devenus de vrais ringards. Naît alors l’art publicitaire du storytelling disruptif, du décodage, de la provocation, gratuite ou non.

LA CONVERSATION

Même Paco Rabanne sous mescaline n’aurait pas pu prévoir le tsunami numérique qui nous est passé sur la tête. La stratégie publicitaire, jusqu’ici dominée par la notion d’espace, a laissé la place à la notion de temporalité. Les médias sont désormais disponibles à la demande, 24h/24. Le consommateur est en contact permanent avec eux. Consulter son portable est la première et la dernière chose qu’il fait chaque jour. La notion de fréquence aussi a évolué. Auparavant, c’était la répétition du même message. Aujourd’hui, c’est la multiplication de messages différents, tout en restant cohérent avec la stratégie globale et les valeurs de la marque. La marque en tant que simple promesse produit n’est plus, il faut désormais qu’elle vive en tant que cristalliseur de conversation. L’ensemble des expressions d’une marque doit permettre de dérouler un récit cohérent et pérenne, tout en nouant une relation continue, plus interactive et moins intrusive avec son public.

BON ...

… Le petit cours d’histoire c’est bien sympa, mais concrètement, comment faire en sorte que ma marque raconte une histoire captivante ? 

Il n’y a pas forcément de secret, mais le processus, lui, reste plus ou moins le même.


 

Petits conseils pour bien se la raconter 

Hé bien tout d’abord il faut la positionner. Lui donner du sens. Créer un repère mental sur le marché. 

Une marque, c’est comme un iceberg. 

La partie visible, c’est la méthode. Elle regroupe tous les éléments de l’expression de la marque, et traduit la personnalité de celle-ci. On y trouve les produits, les services, les messages et les contenus, bref tout ce qui constitue l’expérience de marque.

Quand on regarde sous la surface de l’eau, on se rend compte que la méthode est soutenue par une grosse partie immergée. Tout d’abord, il y a la vision de la marque, constituée d’une notion essentielle qui est “l’insight”. Un insight, c’est la compréhension profonde d’un comportement, d’une problématique, d’un usage ou d’une habitude de consommation. C’est souvent ce qui va permettre de révéler la nécessité de l’élaboration d’un produit ou d’un service sur le marché. À noter qu’un insight est fortement ancré dans une temporalité. Il met au jour un besoin du présent, renverse une notion du passé et possède un potentiel de développement à l’avenir. Par exemple, le créateur de GoPro voulait filmer ses sessions de surf, mais ne trouvait pas de caméra assez étanche et solide pour l’accompagner.

Encore en dessous, à la base de l’iceberg, on trouve une notion fondamentale, qui est celle de la mission. C'est-à-dire les valeurs de la marque, l’empreinte culturelle qu’elle veut laisser à son public. Pour construire et formaliser sa mission, l'entreprise doit se placer à un croisement. Entre l’intuition et la raison, l’ethos et le pathos, le tangible et l’intangible, valeur d’usage et valeur d’image. Plus la mission de la marque sera formalisée précisément, plus il sera facile de raconter son histoire. C’est comme en amour : faut montrer qu’il y a déjà eu du beurre dans la poêle. 

Une fois votre iceberg en place, il est temps de sortir votre pic à glace, afin de graver l’histoire de votre marque.

Un bon storytelling, c’est comme une béchamel : tout le monde a sa propre recette, et quand on la laisse trop longtemps au frigo c’est imbouffable. Mais on peut tout de même se mettre d’accord sur 4 caractéristiques essentielles à toute narration publicitaire.

 

Tout d’abord, la SIMPLICITÉ. Avant tout dénouement, il faut du dénuement. La première qualité d’un bon storytelling, c’est de faire simple, ce qui est paradoxalement hyper compliqué. Plus une histoire est simple, plus elle est mémorable. Rappelez vous que notre esprit est un outil qui, pendant des années, n’a eu qu’un seul objectif : notre survie. Il fonctionne dans l’instant. Dès les premières lignes, la première image, il sait si ce que nous voyons mérite notre attention ou non. C’est pourquoi il faut éveiller immédiatement la curiosité de votre public. Comme disait Jordy, dur dur de hiérarchiser. Notre premier réflexe est de vouloir toujours en dire un maximum pour être sûr que notre public comprenne, et surtout pour avoir l’impression qu’il ne va rien rater. C’est justement tout l’inverse qu’il faut réaliser.

Ensuite, il faut que votre histoire soit SURPRENANTE. Le cerveau humain se shoote à la curiosité. Nous sommes tous camés à la tension générée par notre impatience de découvrir le dénouement de l’histoire qui nous est racontée. Nous sommes addicts au relâchement et au soulagement qui suivent ce dénouement. La pire erreur que vous puissiez faire, à part investir dans les NFT, ou porter une ceinture ET des bretelles, c’est de raconter quelque chose auquel votre public s’attend déjà. Le but du jeu est plutôt de conduire votre récit vers ce qui est le moins attendu. De guider quelqu’un dans une direction, tout en détournant son regard vers un autre endroit. Attention à bien doser la chute, on est sur un exercice de gymnastique périlleux. À la fin d’une bonne histoire, le public doit se rendre compte qu’il a tort, mais aussi comprendre pourquoi il a tort et l’accepter. Il n’est pas question de le balader aux quatre vents sans raison pour le laisser en plan les bras ballants au moment du dénouement. Ceux qui ont vu la fin de Lost sauront de quoi je parle.

Ensuite, une histoire doit être CONCRÈTE pour être efficace. Il faut comprendre qu’un bon storytelling ne parle jamais de celui qui raconte l’histoire, mais de celui qui l’écoute. En effet, notre cerveau ne s'intéresse qu’aux histoires qui le touchent directement, d’une façon ou d’une autre. Le storytelling est une démonstration, non une explication. Il faut incarner, être le plus spécifique possible, montrer que nous partageons la même expérience que notre auditoire. Les mêmes joies, les mêmes peines, les mêmes amis, les mêmes amours, les mêmes emmerdes. Une bonne histoire met au jour ce lien invisible entre nous tous. C’est travailler les détails, par petites touches, en laissant son œil s’attarder plus longtemps sur ce qui est intéressant pour notre public. Le but étant d’éviter à tout prix le piège de l’abstraction à outrance et des métaphores éculées. Pensez à vous mettre dans la peau de votre client. Réfléchissez à ses désirs. Votre marque doit non seulement répondre à ses attentes, mais aussi à les dépasser. Nous devons constamment nous poser la question : qu’apporte ce récit à notre public ? Quelle est la valeur concrète et immédiate de notre histoire ? Pourquoi doivent-ils y prêter attention ?

Enfin, tout bon storytelling doit être ÉMOTIONNEL. Les grands récits, une fois achevés, laissent en nous une empreinte physique indélébile. Ce qui bouleverse nos émotions bouleverse chacun d’entre nous de la même manière, malgré nos spécificités et nos différences, que nous soyons fans de Proust ou de Jean Roucas. Un bon storytelling fonctionne comme un parcours qui conduit de l’empathie à la sympathie. Parvenir à transmettre des émotions, c’est réussir à se mettre directement en lien avec ce que nous partageons tous de plus profond. Comme le disent les Grecs, et ils ont pas dit que des conneries, les émotions permettent de transmettre, de convaincre et d’enseigner de la façon la plus efficace qui soit.

Mais comment parvient-on à créer de l’émotion ? Le paradoxe, c’est que si on veut y arriver, il faut à tout prix éviter de le faire. On n’écrit pas une histoire en se disant “là, je vais être émouvant”. L’émotion viendra d’elle même, si nous nous sommes assez consacrés à nos personnages, si nous avons suffisamment réussi à nous mettre dans leur peau. C’est un exercice difficile, où il faut faire preuve d’empathie, mais également de ténacité. 

Si je devais terminer sur quelque chose, je vous dirais qu’une bonne histoire, qu’il s’agisse d’un conte, d’un scénario, ou d’un storytelling de marque, c’est avant tout une histoire sincère. Puisez dans votre passé, dans votre enfance. Puisez dans ce qui vous touche, dans ce qu’il vous passionne, dans ce qui vous interpelle. Puisez dans vos petites joies, dans vos grandes peines. Puisez dans ce que vous aimeriez voir dans le monde. Et franchement, vous aurez déjà fait une grande partie du boulot.

On aurait pu aborder plein d’autres choses, comme du fait que les marques sont devenues tellement omniprésentes et interactives qu’aujourd’hui on est plus vraiment sur une histoire mais sur une conversation, ou encore comment l’intelligence artificielle nous met face au fait que fondamentalement, on a tous tendance à raconter la même chose de la même façon, mais bon, ça c’est pour une autre histoire.

Crédits photos : Adobe stock